L’entreprise Statista a publié un palmarès des levées de fonds réalisées en 2021 par des licornes françaises. Une startup domine ce classement avec plus de 100 millions d’euros d’avance : Sorare. Cet acteur propose un jeu de fantasy football mondial où les joueurs achètent, échangent, et vendent des joueurs sous forme de NFT (Jetons Non Fongibles).
Peu importe l’avis porté sur cette nouvelle technologie, il est difficile de nier que cette dernière a pris son essor considérable et que le secteur représente des sommes de plus en plus importantes. Les déclinaisons des NFT sont multiples (art, DeFi, logistique, déclinaison du monde réel, etc.)et avec l’avènement du Metarvers, les NFT voient leur importance croitre de manière exponentielle. Les acheteurs et revendeurs peuvent générer des plus-values conséquentes. Or à ce jour, il n’y a aucune certitude sur le traitement fiscal associé à ces opérations. Outre les pistes qui permettent d’envisager le régime fiscal applicable, nous nous demandons quelle stratégie concrète il faut adopter pour minimiser un risque de remise en cause.
Bien que la définition de ce jeton non fongible existe techniquement (il s’agit d’un jeton cryptographique représentant un actif sous-jacent lié à un propriétaire), il n’existe pas à ce jour de définition juridique des NFT. Nous nous proposons ici de faire le point entre les trois qualifications les plus vraisemblables afin d’éclaircir les conséquences fiscales de la cession de NFT. Cet article ne traite que la fiscalité directe, il n’étudie pas les conséquences en matière de TVA.
Afin d’apporter davantage de sécurité juridique à cet enjeu de taille, le député M. Pierre Person, accompagné de 45 autres députés, a déposé une série de neuf amendements le 30 septembre 2021 reprenant la majorité des propositions de l’Association pour le Développement des Actifs Numériques. L’amendement n°I-CF879 mettait en avant la nécessité de créer un régime spécifique aux NFT en proposant d’aligner le régime fiscal à celui de l’actif sous-jacent. Pour diverses raisons, cet amendement n’a pas été adopté dans le cadre de Loi de Finances pour 2022 (et nous le regrettons). Cependant, alors que le flou demeure (pour combien de temps encore ?), comment pouvons-nous tenter d’y voir plus clair ?
A ce jour – et ce n’est pas une nouveauté – trois grandes possibilités existent quant à la qualification juridique des NFT. Pour pleinement comprendre le raisonnement, il faut rappeler que d’une manière générale, sauf à ce qu’il existe un régime spécifique, la qualification fiscale d’un bien (ou d’une opération) sera déduite de la qualification juridique de ce bien (ou de cette opération). Dans le cas des NFT, compte-tenu du silence de la loi fiscale, il convient d’abord de s’interroger sur la qualification juridique de ce type d’actif pour tenter d’en déduire un traitement fiscal. A ce jour, trois qualifications possibles sont évoquées, elles ne sont d’ailleurs peut-être pas exclusives les unes des autres.
Le NFT est-il une œuvre d’art ?
Cette qualification est soutenue par un grand nombre de personnes impliquées dans le marché des jetons non fongibles. Cela peut se comprendre car le régime fiscal de la vente d’œuvre d’art peut être particulièrement avantageux. En outre, les NFT portant souvent sur des œuvres d’art, leur appliquer le même régime fiscal peut sembler cohérent.
Bien que cette hypothèse soit intéressante, elle est difficile à défendre, tant d’un point de vue de la technologie utilisée que d’un point de vue juridique.
Un NFT n’est pas une œuvre d’art en soi. Acheter un jeton non fongible n’équivaut pas à acheter un tableau, ou à acheter un « morceau » de tableau. La création d’un NFT revient à « tokéniser » la représentation numérique d’un actif enregistrée sur une blockchain via un code informatique. Cette technologie n’aboutit pas forcément à une œuvre d’art, il existe en effet d’innombrables autres applications qui n’ont rien à voir avec des œuvres d’art.
D’un point de vue juridique, le NFT ne figure pas dans la liste des œuvres de l’esprit au sens de l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle. Une œuvre de l’esprit est le fruit d’un processus créatif empreint de la personnalité de son auteur. Le NFT est techniquement un token standardisé qui a été publié sous licence open source. Les débats sont encore aujourd’hui animés quant à la qualification et l’utilisation des NFT dans le milieu de la propriété intellectuelle, mais les NFT pourraient être qualifiés de « certificat d’authenticité » (voir sur ce point l’article NFT : chaînon manquant ou maillon faible de l’art numérique ? Lexisnexis Sa – Propriété Industrielle – N° 5 – Mai 2021), ce qui les éloignerait du régime fiscal des œuvres d’art.
Dans le cas où le NFT serait qualifiable d’œuvre d’art, c’est l’article 150 VI du CGI qui s’appliquerait lors de la vente. Ce régime prévoit une taxe forfaitaire s’élevant à 6,5% (6% de taxe forfaitaire et 0.5% de CRDS) du prix de vente, ce qui différencie grandement cette hypothèse des hypothèses suivantes : l’imposition ne dépendrait pas ici de la plus-value, mais bien du prix de vente. A noter que les cessions dont le montant est inférieur à 5.000 € sont exonérées.
La taxe forfaitaire se déclare et s’acquitte dans le mois suivant la cession au moyen du formulaire 2091-SD.
Bien que la taxe forfaitaire de 6,5 % constitue le régime de plein droit pour les œuvres d’art, l’article 150 VL du CGI prévoit qu’il est possible d’opter pour le régime de droit commun des plus-values sur biens meubles dont les conditions sont définies aux articles 150 V à 150 VH. Ce régime est détaillé ci-dessous. Dans le cas où la plus-value serait faible (inférieure ou égale à 18% du prix de vente, hors abattements pour durée de détention), cette alternative pourrait s’avérer judicieuse.
Le NFT est-il un actif numérique ?
L’article L54-10-1 du Code monétaire et financier (CMF) définit les actifs numériques en visant deux sous-familles d’actifs : ceux qui constituent des jetons, et ceux qui constituent des cryptomonnaies.
La fongibilité des cryptomonnaies étant l’une des caractéristiques de ces dernières, les NFT, qui sont par nature non fongibles, ne peuvent répondre à la définition de cryptomonnaie. Ils ne peuvent qu’éventuellement répondre à la définition de jetons (ces derniers constituant l’autre « sous-famille » d’actifs numériques).
L’article L552-2 du CMF définit les jetons comme des biens incorporels, sous forme numérique, représentant au moins un droit, qui dépendent d’un Dispositif d’Enregistrement Electronique Partagé (DEEP) pour son fonctionnement. La loi ne prévoit donc pas de critère de fongibilité quant aux jetons.
Deux arguments peuvent cependant être soulevés afin de remettre en question cette qualification en actif numérique. i) un jeton non fongible ne donne pas systématiquement un droit, et ii) la volonté du législateur lors de la consécration de la notion de jeton ne prenait pas en compte les NFT.
Bien que dans certains cas un NFT puisse permettre un accès exclusif ou prioritaire à certaines plateformes, les NFT ne confèrent pas systématiquement un droit.
De plus, la volonté du législateur, telle qu’elle ressort des travaux préparatoires de l’article 26 de la loi PACTE de mai 2019, était de définir les jetons afin d’encadrer les offres de jetons au public. Par le biais des ICO, le législateur souhaitait ouvrir une nouvelle voie aux entrepreneurs en permettant à ces derniers de recevoir le financement nécessaire au développement de nouveaux projets.
Dès lors, la qualification des NFT en tant qu’actifs numériques demeure incertaine.
Toutefois, si les NFT devaient être qualifiés d’actifs numériques, c’est le régime fiscal propre à ces derniers – et que nous connaissons – qui leur serait applicable (cf. l’article sur le B-A-BA de la fiscalité des cryptomonnaies).
Dès lors, les NFT appartiendraient au « portefeuille d’actifs numériques » au sens de l’article 150 VH bis du CGI, s’agissant des investisseurs réalisant des opérations à titre occasionnel. Tout achat ou vente de NFT payé au moyen de cryptomonnaies bénéficierait ainsi du régime du sursis, qui permet de différer l’imposition des toutes les plus-values « crypto to crypto » qui n’impliquent pas de FIAT. In fine, l’imposition sur les « cash-out » se limiterait à la flat tax de 30% (hors éventuelle CEHR).
Concernant les investisseurs réalisant des opérations à titre habituel, les plus-values de cession relèveraient du régime des BIC (bénéfices industriels et commerciaux), qui implique une imposition beaucoup plus lourde puisqu’elle peut dépasser 65% (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux ou cotisations sociales, CEHR). Dans ce régime, toute transaction génère une plus ou moins-value, sans bénéfice du sursis d’imposition.
La question de savoir si un investisseur réalise des opérations à titre occasionnel ou à titre habituel est parfois difficile à trancher. Nous tentons d’apporter quelques pistes de réflexions à ce sujet dans cet article.
A noter, comme nous le rappelions ici, que pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2023, les « professionnels » seront imposés non plus dans la catégorie des BIC mais dans celle des BNC.
Le NFT est-il un bien meuble incorporel ?
Dans la décision du Conseil d’Etat datée du 25 avril 2018, le bitcoin avait été assimilé à un bien meuble incorporel, avant que les actifs numériques ne soient définis par la loi PACTE. Dans son analyse, le Conseil d’Etat s’était fondé sur le fait que les biens sont meubles ou immeubles, et que le bitcoin ne présentant pas de caractère d’immobilité, il convenait de le qualifier de bien meuble incorporel. A l’époque, la Haute Juridiction était restée silencieuse quant à l’influence du caractère fongible ou non sur la qualification des actifs (et cela est normal car à l’époque la question ne se posait pas en ces termes).
En suivant le raisonnement du Conseil d’Etat, à savoir la simple distinction entre biens meubles immeubles, il ne serait pas interdit de conclure que les NFT constituent des biens meubles incorporels. Dès lors, une telle qualification entraînerait l’application du régime fiscal des cessions de biens meubles de l’article 150 UA du CGI.
Ainsi, la plus-value dégagée serait imposée à un taux de de 36,2% (19% d’IR, 17,2% de prélèvements sociaux), avec un abattement de 5% par année de détention à compter de deux ans de détention.
Ce régime prévoit en outre une exonération pour les cessions dont le montant est inférieur à 5.000 euros. Cette exonération s’apprécie par cession unitaire, elle est donc susceptible de s’appliquer plusieurs fois sur une année et peut donc s’avérer particulièrement avantageuse (sous réserve bien sûr que les cessions soient bien le fait de particuliers agissant à titre occasionnel, à défaut, les plus-values seraient imposables selon le régime des BIC).
Les plus-values sur biens meubles sont à déclarer au moyen du formulaire 2048-M-SD dans le mois suivant la cession.
Traiter chaque NFT au cas par cas ?
Finalement compte-tenu de la très grande diversité des NFT, l’on pourrait imaginer qu’il n’y ait pas un seul régime fiscal applicable aux cessions de NFT mais des régimes différenciés selon la nature de l’actif sous-jacent. Cette approche, qui était celle figurant dans l’amendement non adopté, reviendrait à traiter tel NFT comme une œuvre d’art, tel autre comme un bien meuble ou un actif numérique etc.
Si cette théorie peut séduire par son pragmatisme et son “réalisme”, elle pose de nombreuses questions. Il conviendra en effet de définir les frontières entre chacune des catégories possibles.
Qu’en est-il en droit anglo-saxon ?
Bien que ce manque de définition puisse semer un vent d’incertitude tant auprès des acheteurs que des créateurs de jetons non fongibles, il convient de relativiser le retard de la France sur la question.
Dans la sphère anglophone, ni l’IRS (USA) ni l’HMRC (UK) n’ont pour l’instant fait part d’instructions spécifiques encadrant les plus-values engendrées par la cession de NFT. Dans les deux cas, la revente de jetons non fongibles, que ce soit en contrepartie de cryptomonnaie ou de monnaie FIAT est assujettie à la « Capital Gains Tax », impôt que l’on pourrait rapprocher de la théorie de l’assimilation au régime des cessions de biens meubles incorporels. L’on retrouverait un modèle assez similaire avec un abattement relatif à la durée de détention.
Concrètement, comment traiter ses gains de cession de NFT ?
L’investisseur concerné par des gains de NFT est nécessairement conduit à faire un choix sur le traitement fiscal à appliquer. Ce choix aura pour objet de minimiser le risque de remise à cause par l’administration fiscale.
Tout d’abord, ce choix doit être cohérent avec la réalité du NFT concerné. Il n’y aurait par exemple aucun sens à appliquer le régime fiscal des œuvres d’art à un NFT n’ayant rien à voir avec l’art ou n’ayant aucune dimension créative.
Par ailleurs, quantifier le risque fiscal peut aider à relativiser celui-ci et/ou aider à faire un choix. Ainsi, s’il existe in fine, une faible différence de montant d’impôt entre tel ou tel traitement, le choix ne revêt pas le caractère crucial que l’on pourrait penser.
A l’étude des trois possibilités, l’on s’aperçoit qu’en appliquant le régime des biens meubles incorporels, l’on est susceptible de couvrir deux des trois hypothèses puisque les plus-values de cession d’œuvres d’art peuvent, sur option, bénéficier de la fiscalité des biens meubles incorporels. Dès lors, appliquer ce régime n’exposerait qu’à une seule contestation possible, c’est-à-dire celle revenant à qualifier le NFT d’actif numérique. Or dans cette dernière hypothèse, l’on sait que les cessions de NTF contre des cryptomonnaies bénéficient du sursis d’impôt de l’article 150 VH bis du CGI (pour les particuliers). Autrement dit, une telle contestation, dans la mesure où elle ne conduirait pas à un rappel d’impôt, n’aurait aucun intérêt à être mise en œuvre par l’administration (sauf l’impact éventuel sur la valorisation du portefeuille au moment d’un cash-out qui pourrait ainsi revaloriser les plus-values de l’article 150 VH bis du CGI).
Cette stratégie, si elle est relativement sûre, pourrait conduire le contribuable à supporter un impôt plus important que ce qui aurait été dû. Ce serait notamment le cas où, ultérieurement à la déclaration, les NFT seraient finalement qualifiés d’actifs numériques. Ce risque doit être relativisé car le contribuable pourrait toujours, par voie de réclamation, demander une restitution de l’impôt trop versé. Deux limites sont toutefois identifiables. La première est celle du délai de réclamation, qui est encadré par la prescription. La seconde tient au fait que l’option pour l’imposition d’une plus-value de cession d’une œuvre d’art selon le régime des biens meubles incorporels est irrévocable. Cela signifie que si le gain a été imposé selon le régime des biens meubles incorporels et qu’ultérieurement il s’avère que le NFT est une œuvre d’art, il ne sera peut-être pas possible de demander a posteriori le bénéfice du régime de la taxe forfaitaire . L’administration pourrait en effet prétendre que l’imposition initiale a été faite en vertu d’une option irrévocable pour refuser de revenir dessus.
En procédant ainsi, le contribuable fait le choix d’une option prudente tant que l’incertitude demeure, sans nécessairement se priver d’une fiscalité favorable qui serait confirmée ultérieurement par une qualification claire et admise des NFT.
Pour obtenir une garantie maximale, il reste possible de faire une demande de rescrit fiscal. Cette procédure revient à interroger l’administration sur l’application de tel ou tel texte. Selon la réponse, le contribuable bénéficiera d’une excellente garantie contre un risque de remise en cause. Le rescrit n’est toutefois pas toujours une bonne option, nous y reviendront ultérieurement dans un article dédié au sujet.
Une autre possibilité est celle de faire une « mention expresse ». Par ce procédé, le contribuable attire l’attention de l’administration en mentionnant clairement son choix et les raisons qui l’ont motivé dans sa déclaration de revenus. Ainsi, en cas de contestation, la bonne foi du contribuable ne sera pas en cause et il bénéficiera, en outre, d’une remise sur la totalité des intérêts de retard.
Le débat bientôt tranché par le Ministre de l’économie
Ce flou et l’insécurité juridique fiscale qui en découle ne devrait pas durer éternellement. En effet, la députée Véronique Louwagie a mis les pieds dans le plats en posant clairement la question au Ministre de l’économie en date du 25 janvier 2021. La question semble plaider pour une assimilation des NFT aux œuvres d’art mais comme nous le savons, cela ne constitue qu’une possibilité parmi d’autres.
Cette question a d’ores et déjà fait beaucoup d’encre. Pourtant, elle n’est pas la première en la matière puisque par une question en date du 15 avril 2021, le sénateur Jérôme Bascher avait déjà interrogé le ministre sur la fiscalité des NFT. Plus ouverte dans ces termes, cette question n’a, à notre connaissance, pas encore reçue de réponse.
Bien qu’une refonte de la définition des actifs numériques dans notre droit s’avère de plus en plus indispensable (notamment pour réduire l’incertitude née de la reconnaissance du Bitcoin comme monnaie par le Salvador), la réponse du Ministre de l’économie pourrait constituer une rustine provisoire et bienvenue.
Nous vous tiendrons bien sûr informés des termes de la réponse, dont on ne sait pas quand elle sera publiée. Affaire à suivre !
Matthieu Lafont
Avocat à la Cour
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Vincent Fix
Etudiant au sein du M2 Fiscalité Appliquée, Université Paris-Est-Créteil