La Commission des Finances, dont Eric Woerth est le Président, vient de rendre un rapport riche d’enseignements sur les cryptomonnaies en France. Au-delà des aspects techniques touchant le cadre juridique et fiscal des actifs numériques, le rapport nous révèle que ses auteurs ont parfaitement conscience du potentiel du secteur et de la nécessité d’une évolution de la législation. Le rapport constitue donc un pas dans la bonne direction, même si le chemin reste long. Cet article en reproduit les aspects les plus intéressants au regard de la fiscalité des cryptomonnaies.
La Commission des Finances de l’Assemblée Nationale vient de rendre son rapport d’information sur la « mise en œuvre des conclusions de la mission d’information relative aux crypto-actifs ».
Il y a bientôt deux ans, « la mission d’information relative aux monnaies virtuelles », dressait un état de lieux sur les cryptomonnaies et la blockchain et avançait 27 propositions concrètes. Ces propositions avaient notamment pour objet d’adapter le cadre juridique et fiscal français aux actifs numériques mais pas seulement. En effet, nous avons (re)découvert avec étonnement et satisfaction que la mission proposait par exemple d’inclure des modules de formation à la blockchain dans les cours de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur pour former les entrepreneurs de demain (proposition n° 25). Cette mission d’information, dont Eric Woerth était le Président et le député Pierre Person le Rapporteur, ne manquait donc pas d’ambition.
Aujourd’hui, la Commission des Finances réalise un nouvel état des lieux en reprenant point par point les propositions de l’époque et les classe en trois catégories : propositions satisfaites (11 sur 27), propositions partiellement satisfaites (5 sur 27), propositions non satisfaites (11 sur 27),
- Propositions totalement satisfaites 40%
- Propositions partiellement satisfaites 20%
- Propositions non satisfaites 40%
Les propositions qui nous intéressent ici sont bien sûr celles relatives à la fiscalité (même si les autres sont très intéressantes aussi). Elles étaient au nombre de 11. Quatre ont été satisfaites, une a été partiellement satisfaite et cinq n’ont pas été satisfaites.
Un constat juste et clairvoyant
Avant de revenir sur les propositions touchant la fiscalité, nous croyons utile de reproduire quelques extraits du rapport qui nous semblent particulièrement intéressants. Ils révèlent en effet que (en dépit de ce que l’on peut penser) certains de nos responsables politiques ont parfaitement compris les enjeux et les défis qui s’offre à nous lorsqu’il s’agit de cryptomonnaies.
Le rapport commence par souligner l’importance croissante des actifs numériques, dont la capitalisation totale a atteint 3.000 milliards de dollars en novembre 2021. Il note également la diversification grandissante des actifs numériques, avec par exemple les NFT, dont les ventes ont atteint 2,5 milliards de dollars au cours du premier semestre 2021, contre à peine 14 millions de dollars sur la même période en 2020.
Les actifs numériques pourraient contribuer au développement de l’économie réelle […]. Il est de la responsabilité du législateur de reconnaître le potentiel de ces progrès technologiques afin de les mettre au service de la croissance économique, des entreprises et des particuliers.
« L’expansion des actifs numériques et des services basés sur les technologies blockchain présente de nombreuses potentialités pour rendre le système financier plus efficient, en réduisant les coûts et les délais de transaction, en facilitant les paiements internationaux et en renforçant la transparence des informations. En outre, les actifs numériques pourraient contribuer au développement de l’économie réelle, par exemple en renforçant l’inclusion financière auprès des populations peu bancarisées, en diversifiant les possibilités de levée de fonds des entrepreneurs ou encore en permettant une meilleure rémunération des artistes.
Il est de la responsabilité du législateur de reconnaître le potentiel de ces progrès technologiques afin de les mettre au service de la croissance économique, des entreprises et des particuliers. »
Nous ne pouvons que partager ce constat. La lucidité de la commission doit être saluée.
Le rapport relève ensuite que si la démocratisation du secteur des actifs numériques est en marche, celle-ci demeure limitée à ce jour. Il rappelle que légiférer dans ce contexte nécessite de répondre à de nombreuses questions de fond :
Jusqu’où est-il nécessaire et proportionné de réguler les actifs numériques ? Comment maîtriser les risques inhérents aux technologies blockchain sans freiner les projets innovants ? Comment réduire les risques de transactions illicites sans porter une atteinte non justifiée aux libertés publiques? Comment réguler les entreprises européennes sans réduire leur compétitivité par rapport à leurs concurrents internationaux ?
Ces questions sont passionnantes. Elles touchent à l’importance de la régulation d’un secteur dont la genèse repose justement sur la protection des libertés, de l’anonymat et de la vie privée. Tenter d’y répondre est le rôle de nos décideurs mais aussi celui de toute personne intéressée par le sujet.
Qu’en est-il des propositions fiscales ?
La proposition n° 6 recommandait de définir le rapatriement sur un compte bancaire comme fait générateur de l’impôt sur la plus-value en crypto-actifs. Cette proposition n’a pas été satisfaite puisque la loi prévoit actuellement que l’imposition intervient lors de la conversion en FIAT (indépendamment du rapatriement sur compte bancaire). Le cadre actuel est donc plus restrictif. La proposition non concrétisée avait l’inconvénient de faciliter les fraudes à l’occasion de paiements de biens et services en cryptomonnaies. Aussi, le fait que certaines plateformes agissent comme des banques en permettent le dépôt en FIAT compliquait le champ d’application.
La non adoption de cette proposition n’est pas un problème à nos yeux car l’investisseur peut toujours protéger ses gains latents sans fiscalité en ayant recours au stablecoins. Le recours au FIAT n’est donc pas utile en dehors de la volonté d’appréhender les sommes en FIAT.
Déductibilité des moins-values
Entre deux paragraphes, le rapport revient sur la non-déductibilité des moins-values réalisées en cryptomonnaies (elles ne peuvent être imputées que sur les gains de même nature réalisés au titre de la même année). Il souligne que cette non-déductibilité peut sembler injuste au regard du régime applicable aux actifs financiers traditionnels mais qu’en réalité, ce sont bien les actifs numériques qui sont favorisés. En effet, seuls ces actifs bénéficient du fameux sursis sur les opérations d’échange. Les actions et autres valeurs mobilières ne connaissent pas un tel régime. A notre sens, si cette affirmation est vraie, elle ne peut conduire à considérer que les actifs numériques sont favorisés. Les deux marchés (financier traditionnel et actifs numériques) sont différents, les pratiques ne sont pas les mêmes etc., si bien que l’on ne peut les comparer de manière aussi directe.
Abattement annuel sur le montant des cessions figurant dans la 7e proposition (non adoptée)
La proposition n° 7 recommandait d’instaurer un abattement annuel sur le montant des cessions de crypto-actifs à hauteur de 3 000 euros. Elle n’a pas été satisfaite puisque le plafond est aujourd’hui fixé à 305 euros. Un amendement proposant de relever ce seuil de 305 euros à 3 000 euros a une nouvelle fois été rejeté lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2022. Ce rejet a été justifié par la volonté de « ne pas faire de cadeau supplémentaire » aux crypto-investisseurs.
La proposition n° 8 recommandait de permettre un report d’imposition des plus-values en crypto-actifs dans le cadre d’un apport de crypto-actifs à une société. Le rapport précise :
« Bien que cette proposition n’ait pu aboutir, il demeure de la responsabilité du législateur de reconnaître le potentiel de développement des actifs numériques afin de les mettre au service de la croissance économique, des entreprises et des particuliers. C’est dans cette optique que le rapporteur a présenté […] des amendements proposant de mettre en place une fiscalité incitative qui encouragerait les personnes ayant réalisé des plus-values sur actifs numériques à les réinvestir dans l’économie réelle. Cela pourrait permettre de soutenir les petites et moyennes entreprises établies en France, qui sont confrontées à une sous-capitalisation persistante, mais aussi des secteurs d’activité en manque de financement. [..]
Ces amendements ont été rejetés […]. Ils ont néanmoins permis d’ouvrir un débat, qui est loin d’être refermé. Il est nécessaire et il sera à terme inévitable de rapprocher le monde des actifs numériques de la sphère réelle, en permettant à l’argent investi dans les crypto-actifs de bénéficier à l’économie réelle. »
Activité exercée à titre « habituel » : le serpent de mer
La proposition n° 4 recommandait de clarifier la notion d’activité exercée à titre « habituel » dans la doctrine fiscale, afin de mieux distinguer les gains réalisés à titre occasionnel et ceux réalisés à titre professionnel.
Ainsi, il y a deux ans , la mission d’information appelait déjà à une clarification de cette question qui ne cesse d’agiter les investisseurs et les commentateurs. Le nouveau rapport relève, comme nous le faisons souvent, que les critères demeurent flous, qu’un particulier peut, même à titre occasionnel, procéder à des échanges au quotidien, réaliser un nombre important d’opérations sur l’année et bénéficier de plus-values conséquentes. Dans un tel cas, même si cette activité n’est pas pour lui une activité professionnelle, le risque que ces gains soient imposés selon le régime des BIC est réel. Nous parlons plus en détails de ce sujet dans cet article.
Le rapport note en outre qu’avec l’adoption de la Loi de finances pour 2022, le régime devrait évoluer à compter du 1er janvier 2023. Nous en parlons dans cet article dédié. Cette entrée en vigueur différée devrait permettre à l’administration de faire ses propres commentaires et, peut-être, de dissiper un peu le flou dans lequel nous nous trouvons toujours actuellement.
Régime des jetons gratuits
La proposition n° 10 recommandait d’aligner le régime fiscal applicable aux attributions de jetons gratuits sur le régime applicable aux attributions d’actions gratuites. Cette proposition n’a pas été satisfaite. Plusieurs amendements sur le sujet ont été discutés dans le cadre du projet de Loi de finances pour 2022 et ont été rejetés.
D’apprès le rapporteur, la DGFiP a indiqué que « le régime de l’actionnariat salarié ne saurait servir de modèle pour d’autres modes de rémunérations qui ne répondent pas au même objectif, en particulier pour des jetons qui, par nature, ne constituent pas des titres financiers. Ces jetons n’ont en effet pas vocation à conférer à leur détenteur des droits politiques ou financiers similaires à une action. Ainsi, sauf à créer une rupture d’égalité injustifiée devant les charges publiques, l’avantage salarial résultant de l’attribution gratuite de jetons doit, en totalité, continuer d’être imposé, lors de son attribution, selon le droit commun des salaires, à l’instar de tout autre élément de rémunération de droit commun (primes, avantages en nature, etc.) »
Le DGFiP commet à notre sens une erreur de raisonnement puisqu’il existe pourtant des jetons de gouvernance octroyant des droits de vote à leurs titulaires. Le rapporteur le relève d’ailleurs très justement.
Conclusion
Le rapport est très intéressant. Il nous montre notamment que ses auteurs ont bien saisi les enjeux que nous qualifions de cruciaux. Dresser un état des lieux de l’adoption de propositions qui étaient concrètes permet non seulement de faire le bilan mais aussi de rappeler à tous les sujets qui devront être clarifiés dans un avenir proche. Le rapport fait ainsi office de feuille de route pour que l’adaptation du cadre législatif et fiscal soit poursuivie. Il s’agit d’un processus long qui nécessite aussi de la pédagogie. C’est aussi ce que nous essayons de faire ici.
Matthieu Lafont
Avocat à la Cour
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