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Le succès de la finance décentralisée (DeFi) ne fait que croître, et le secteur a engendré une myriade de nouveaux process dans le monde des actifs numériques : staking, lending, yield farming, airdrops, backed loans, la liste n’en finit plus.

Face à ce développement exponentiel, la réponse du législateur et de l’administration fiscale peut parfois se faire attendre. C’est pourquoi nous vous proposons d’étudier la fiscalité potentiellement applicable à ces nouvelles sources de revenus.

Nous avons choisi d’aborder la question de la fiscalité de trois process : le Lending, le Farming, et le Staking.

Lending 

Par le biais de la finance décentralisée, il est maintenant possible d’obtenir un prêt en monnaie fiat ou en stablecoins en utilisant des actifs numériques comme garantie. Bien entendu, qui dit emprunteur, dit prêteur. Dans ce cadre, le prêteur est amené à recevoir des intérêts.

Farming

Pour assurer la liquidité des actifs numériques, les plateformes de DEFI ont recours à des « pool de liquidités ». Ces pools sont constitués de cryptoactifs immobilisés par des utilisateurs. Ces derniers, au titre de l’apport de liquidité (ce qui contribue au bon fonctionnement du marché), sont rétribués sous forme de rewards.

Staking

Le staking est une façon pour un particulier de contribuer au fonctionnement d’une blockchain fonctionnant selon le protocole proof of stake (POS). Selon ce protocole, l’immobilisation de jetons « stakés » permet de valider des transactions. En contrepartie de ce staking, l’utilisateur perçoit des rewards.

Mention des airdrops

L’airdrop consiste dans le fait de donner ou recevoir gratuitement une cryptomonnaie. Contrairement aux activités précédemment citées, il n’y a pas d’idée de contrepartie financière ou de participation au fonctionnement du système. C’est pourquoi nous aborderons le sujet de la fiscalité des airdrops dans un prochain article.

Une absence de fondement textuel

Il n’y a pour l’instant pas de fondement textuel permettant de savoir la qualification, et par conséquent le régime fiscal, des récompenses de ces activités. C’est pourquoi nous allons envisager différentes qualifications possibles ainsi que leur régime.

Taxation des rewards dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers

De prime abord, ces revenus pourraient s’apparenter à des revenus provenant de placements. Pour autant, l’article 124 du CGI dispose que constituent des revenus de capitaux mobiliers, entre autres, les intérêts provenant de dépôts de créances ou de sommes d’argent. Qualifier ces différents « rewards » d’intérêts supposerait donc que les actifs numériques en cause puissent être regardés comme des créances ou des sommes d’argent.

Il y a donc peu de chances que cette qualification soit retenue. En outre, la liste dressée par l’article 124 du CGI étant limitative, il semble difficile d’y inclure les différents « rewards » par extension.

Le régime fiscal des revenus de capitaux mobiliers

Dans le cas où la qualification improbable des revenus de capitaux mobiliers serait retenue, le régime fiscal serait celui de l’article 125 A du CGI. Ce dernier dispose que les revenus de capitaux mobiliers sont soumis au prélèvement forfaitaire unique (aussi appelé « flat tax ») : 12.8% au titre de l’impôt sur le revenu, et 17.2% au titre des prélèvements sociaux. L’article 125 A prévoit aussi la possibilité d’opter pour le barème progressif d’impôt sur le revenu.

L’article 125 du CGI précise que le fait générateur de l’impôt est constitué par paiement des intérêts. Dans cette théorie, à partir du moment où vous recevez des récompenses, celles-ci doivent être déclarées (en N+1) pour leur contrevaleur en euros au jour de la perception et elles donnent lieu à la flat tax, même s’il n’y a pas eu de conversion en monnaie fiat.

Pour la suite, si vous décidiez de conserver les rewards au lieu de les convertir en monnaie fiat, ceux-ci intègreraient votre portefeuille d’actifs numériques pour la valeur portée dans la déclaration de revenus. En cas de cession ultérieure, c’est le régime connu de l’article 150 VH bis du CGI qui s’appliquerait.

Taxation des rewards en tant que plus-value d’actifs numériques

Selon cette approche, les rewards intègreraient, dès leur perception, le portefeuille d’actifs numériques pour une valeur de 0. Ils ne ferait donc l’objet d’une taxation qu’au moment de leur cession. En vertu du sursis visé à l’article 150 VH bis,. les échanges crypto x crypto ne génèrent pas d’imposition ni d’obligation déclarative.

Taxation des rewards dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC)

L’année de leur réception, vous pouvez faire le choix de déclarer rewards dans la catégorie des BNC. L’article 92 1. du CGI prévoit en effet que les revenus qui n’ont pas pu être rattachés à la catégorie des BIC relèvent de la catégorie des BNC (clause balai).

Cette assimilation aux BNC correspond à la vision du Conseil d’Etat dans sa décision du 26 avril 2018, même si celle-ci visait spécifiquement le mining.

Lorsqu’ils constituent la contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement du système d’unité de compte virtuelle (activité dite de « minage »), les produits sont susceptibles de relever des prévisions de l’article 92 du CGI (CE 26 avril 2018, n°s 417809, 418030, 418031, 418032, 418033).

L’approche du Conseil d’Etat sur cette question a depuis été reprise au Bofip par l’administration fiscale (paragraphe 1080 du BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40). Une interrogation demeure sur le fait de savoir si le Conseil d’Etat avait une approche économique ou une approche technique en visant « la participation du contribuable à la création ou fonctionnement du système ».

Le minage et le staking contribuent tous les deux, d’un point de technique au bon fonctionnement du système, respectivement par le biais du Proof-of-Work et du Proof-of-Stake.

Les autres protocoles contribuent au bon fonctionnement du système d’un point de vue économique. Par le biais du lending et du yield farming, les utilisateurs contribuent en effet à la liquidité du système.

Dans tous les cas, il conviendra d’appliquer le régime des BNC à ces récompenses. Même si cette extrapolation de la doctrine administrative existante n’était pas reconnue, ou uniquement partiellement reconnue, le régime des BNC s’appliquerait par défaut (catégorie balais évoquée plus tôt).

La contre-valeur en euros des récompenses sera imposée au titre de l’année de réception dans la catégorie des BNC déclarés.

Les rewards intègreraient ensuite le portefeuille d’actifs numériques pour un prix d’acquisition égal au montant déclaré au titre des BNC.

La cession ultérieure des récompenses en échange de monnaie fiat donnerait lieu à une éventuelle plus-value imposée selon le régime connu de l’article 150 VH bis du CGI.

Une alternative pourrait être de déclarer les BNC lors de l’année de la cession des récompenses en échange de monnaie fiat (de nombreux lecteurs le souhaiteraient). Il n’y aurait donc pas d’imposition immédiate en cas de conservation des rewards. Toutefois, rien de permet de justifier juridiquement cette approche. Nous n’y croyons pas.

Dans les deux cas, peu importe le moment de leur déclaration, les BNC déclarés seront incorporés aux autres catégories de revenus du contribuable. Au titre des BNC, un contribuable est donc imposé par le biais de l’impôt sur le revenu d’une part, et par le biais des prélèvements sociaux d’autre part (17,2%).

Cette analyse de l’appartenance des rewards à la catégorie des BNC ne fait cependant pas l’unanimité au sein du monde juridique, certains contestent cette qualification en s’appuyant sur la nature aléatoire du gain (notamment dans le cas du staking).

Taxation des éventuelles Plus-Values selon le régime des actifs numériques 

Dans le cas où vous conserveriez les rewards, outre la question de la fiscalité à la réception, il y a un enjeu de fiscalité lors de la cession. La vente de ces rewards pourrait créer une plus-value, qui elle serait soumise au régime des actifs numériques. En matière de gains de staking, farming, et lending, la connaissance de l’article 150 VH bis du CGI et de son régime est donc primordiale.

En ce qui concerne les opérations à titre occasionnel, l’imposition de l’éventuelle plus-value se limiterait à la flat tax de 30% (hors éventuelle CEHR). La plus-value serait alors calculée avec un prix d’acquisition de 0€.

Cependant, étant donné la complexité de certaines de ces opérations, il existe un risque de requalification entre des opérations à titre occasionnel et des opérations réalisées à titre habituel, ce qui aurait des incidences fiscales. Pour en savoir plus sur la question, nous vous invitons à consulter cet article qui offre quelques pistes de réflexion.

Récapitulatif des différents raisonnements

 

Afin de mieux comprendre les implications de chaque option, imaginons un scénario dans lequel vous possédez un bag de 10.000€ (cash-in 10.000€) et recevez l’équivalent 1.000€ de rewards. Vous décidez de revendre ces récompenses un an plus tard, lorsque celles-ci valent 2000€.

 

Revenus de capitaux mobiliers Régime fiscal des AN sans déclaration Régime fiscal des AN avec déclaration des récompenses à la réception Régime fiscal des AN avec déclaration des récompenses à la cession
Régime fiscal PFU lors de la réception, puis PV sur AN avec prix d’acquisition de 1000€. PV sur AN avec prix d’acquisition de 0€ lors de la cession. PV sur AN & déclaration de la contrevaleur au titre des BNC lors de la réception PV sur AN & déclaration de la contrevaleur au titre des BNC lors de la cession.
PFU 300€ immédiatement & 550€ l’année de cession                                  600,00                        550,00€                                 550,00 €
Taux marginal d’IR de 25%                        250,00€                                  250,00 €
Imposition totale                     850,00€                                      600,00 €

                       800,00€

                               800,00 €
Avantages 
  • Une imposition totale moindre à partir d’un certain bag ;
  • Aucune imposition avant la cession ;
    Une protection contre la variation du cours des récompenses.
  • Avantageux avec un taux marginal supérieur à 30%.         
• Avantageux avec un taux marginal inférieur à 30%. • Aucune imposition avant la cession ;
• Une protection contre la variation du cours des récompenses ;
• Avantageux avec un taux marginal inférieur à 30%.
Inconvénients  • Amène à débourser de la trésorerie sans conversion en monnaie fiat • Amène à débourser de la trésorerie sans conversion en monnaie fiat

Le tableau ci-dessus ne correspond qu’à une seule situation, et l’imposition totale varie selon les différents paramètres qui sont propres à votre situation (montant et ratio cash-in/total du portefeuille d’actifs numériques, taux marginal d’IR, ratio récompenses/bag…). Cependant, le moment de l’imposition selon les différents régimes est certain, et ceci peu importe les différentes sommes concernées.

Outre-Atlantique, l’IRS a récemment accepté de rembourser des impôts payés par un utilisateur qui n’avait pas échangé des récompenses perçues contre de la monnaie fiat. Par cette décision, on comprend que l’administration fiscale américaine n’aurait pas dû imposer des actifs numériques « créés » par le contribuable, tant que ceux-ci n’ont été ni échangés, ni vendus. Même si cette décision n’a aucune portée pratique en France, l’on pourrait donc y voir un rayon d’espoir pour les utilisateurs de la DeFi qui échapperaient à une imposition pendant un temps.

Matthieu Lafont
Avocat à la Cour
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Vincent Fix
Etudiant au sein du M2 Fiscalité Appliquée, Université Paris-Est-Créteil